Janvier 2017
Travail de Master en architecture à l’EPFL
Auteures: Carla Jaboyedoff en collaboration avec Karen Devaud
Lieu: Lausanne
>lien vers la publication complète<
Demander l’asile en Suisse est un long processus de plusieurs mois ou années qui place l’individu dans une situation d’attente et d’isolement social. Cette période d’incertitude se vit dans divers lieux d’hébergement qui laissent peu de chance à la création de réseaux sociaux ainsi qu’à l’accès aux réseaux existants. En effet, n’étant que rarement confrontés à l’univers du travail ainsi qu’au monde extérieur, les individus en procédure d’asile rencontrent difficilement des personnes implantées en Suisse, sinon au travers d’actions citoyennes. La pratique du territoire est alors une ressource, un moyen de participer à la société, de découvrir certains codes, us et coutumes et de rencontrer l’autre.
Cette recherche nous emmène sur les pas de certaines personnes demandant l’asile en Suisse et plus précisément à Lausanne pour comprendre leur appréhension de la ville et du territoire, leur vécu, les lieux ressources et les exclusions.
Extrait
Prologue
La migration et ses effets sur le territoire, dans notre société et dans nos villes suscitent multiples débats et animosités, réflexions et projets. Le monde de l’urbanisme et de l’architecture n’en est pas épargné. A l’occasion de la Biennale de Venise de 2016, Reporting from the front, des projets plus ou moins convaincants traitant ce sujet étaient exposés. Certains d’entre eux proposaient des démarches communautaires et participatives allant au plus près des individus concernés, soit les migrants, alors que d’autres les considéraient comme sujets de la réflexion, avec pour résultat de l’architecture «pour» réfugiés. On peut alors ici avancer deux critiques : la première est celle d’une architecture qui conçoit le réfugié en tant que groupe social défini, au-delà de son individualité. La seconde, déjà avancée par Yona Friedman, est celle de la posture de l’architecte tout puissant, qui sait «mieux que chaque habitant, un à un, comment ceux-ci désirent vivre.» (Friedman, 2016, p.21). Ainsi, Koolhas (2016), proposait en mai dernier de penser les réfugiés comme des individus favorables au dynamisme des villes. Il ajoutait à cela que ces derniers offrent à l’architecture une invitation à collaborer de façon intéressante. Collaborer nécessite alors une compréhension de l’individu dans sa subjectivité et sa singularité, dans l’idée qu’il détient un savoir que nous n’avons pas. L’édification de savoirs communs pourrait alors impliquer, non seulement les individus concernés, soit les migrants eux-mêmes, mais également différents corps de métier. L’importance du travail interdisciplinaire en ce qu’il enrichi la pratique n’est plus à démontrer mais certaines compétences sont néanmoins nécessaires afin que la collaboration en soit une ; le résultat final devrait être une co-construction relatives à des savoirs partagés (Edwards, 2012). Penser à plusieurs, chacun avec son expertise singulière, permet d’en retirer une richesse infinie si chacun s’efforce à comprendre ce qui est important pour l’autre ensuite. L’édification de ces savoirs communs repose donc sur le principe préalable d’une interrogation des pratiques professionnelles individuelles afin de les utiliser dans le travail interdisciplinaire.
Cette démarche communautaire et interdisciplinaire est ainsi celle que nous essayons de mettre en œuvre dans ce travail. En effet, psychologie et architecture, deux domaines éloignés, à priori, se rejoignent dans les pages qui suivent par leurs questionnements, leurs convictions et leur souhait d’exprimer et d’investiguer la condition sociale de certains habitants en Suisse, les requérants d’asile.
Notre route a aussi croisé des bénévoles du Groupe Accueil Migrants du Mont-sur-Lausanne (GAMM) ou du Collectif R, une ethnologue spécialiste de l’aide d’urgence, un juriste travaillant pour l’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés (OSAR) et des collaborateurs de l’Etablissement Vaudois d’aide aux Migrants (EVAM). Ces rencontres ont été très précieuses et ont mené à des échanges de qualité, nous apportant leur appréhension de l’asile en Suisse. Par ailleurs, ils ont rendu possible la rencontre des requérants d’asile qui ont contribué à cette réflexion. Ainsi, ces échanges ont permis de mettre des visages et des noms sur un groupe d’individus et d’appréhender leur individualité. Ainsi, Ibrahim, Youssouph, Ashkan, Naser, Farid, Divine, Lys et Albertine nous ont partagé leur vie en tant que requérant d’asile, leurs savoirs et expériences du territoire.
Récit et illustration « dessine-moi la ville de Lausanne »
Bibliographie
Koolhaas, R. (2016). Architecture has a serious problem today. Consulté à http://astrogoread.astro.com.my/topics/article/s_17706-s_17706-7150672.
Lynch, K. (1999). L’image de la cité. Paris, France : Dunod.
Métraux, J.-C. (2011). La migration comme métaphore. Paris, France : La dispute.
Métraux, J.-C. (2007). Nourrir la reconnaissance mutuelle. Le journal des psychologues. 252(9), 57-61.
Milliot, V. (2016). Une intenable bureaucratie de la rue. Les travailleurs sociaux face aux débordements des marchés informels. Tsantsa, 21, 38-50.
Paugam, S. (1996). Introduction. La constitution d’un paradigme. In S. Paugam. (Ed), L’exclusion, l’état des savoirs. (pp. 7-18). Paris : La découverte.
Secchi, B. (2013). La ville des riches et la ville des pauvres. Genève, Suisse: MetisPresses.
Sarthou-Lajus, N. (2009). L’ère de la vitesse et des grandes migrations. Entretien avec Paul Virilio. Études, 2-410, 199-207.
Schnapper, D. (1996). Intégration et exclusion dans les sociétés modernes. In S. Paugam (Ed.), L’exclusion, l’état des savoirs. (pp. 23-31). Paris: La découverte.
Stock, M. (2004). L’habiter comme pratique des lieux géographiques. EspacesTemps.net. Publication avancée en ligne. Consulté à http://www.espacestemps.net/articles/habiter-comme-pratique-des-lieux-geographiques/?output=pdf.
Stock, M. (2006). L’hypothèse de l’habiter polytopique : pratiquer les lieux géographiques dans les sociétés à individus mobiles. EspacesTemps.net. Publication avancée en ligne. Consulté à http://www.espacestemps.net/articles/hypothese-habiter-polytopique/.
Thiery, S. (2011). Après la ville : regard sur l’imaginaire de la métropole. Quaderni, 74, 87-96.
Thiery, S. (2011). La lutte des places. Où construire en commun ? Multitudes, 45(2), 149-153.